Golema, un projet d’auto-défense

Golem גולם est une créature sculptée dans l’argile par le rabbin mystique et philosophe surnommé Le Maharal de Prague au XVIe siècle. Mobilisé lorsque les communautés juives sont en péril, le golem est une arme de protection contre les pogroms. En ces temps de recrudescence de l’antisémitisme, nous avons invoqué Golema, dans sa version queer numérique.

Golema est un collectif d’autodéfense politique constitué de Juifs, Juives et non-Juif·ves. Ici, nous ferons part de nos expériences individuelles et de nos analyses de l’antisémitisme en tentant à la fois de cerner sa spécificité et son entrelacement avec les rapports de classe, de genre, avec tous les racismes et autres formes de domination.

La fonction de l’antisémitisme est de canaliser et de détourner les colères populaires, de proposer un exutoire aux frustrations et aux colères sociales produites par le capitalisme. L’antisémitisme apporte une réponse raciste aux questionnements d’un monde dominé par l’impératif de la valorisation capitaliste et prétend « dévoiler qui est réellement aux commandes ».

Pourquoi se battre contre la pitoyable politique sanitaire du gouvernement lorsqu’on pense que le virus a été fabriqué par les Juif·ves? Pourquoi s’organiser contre son patron lorsqu’on s’imagine que c’est la banque Rothschild qui dirige nos vies ? 

L’antisémitisme sévit dans toutes les sphères sociales et politiques. 

L’antisémitisme d’extrême-droite s’appuie sur une dénonciation des personnes juives comme suppôts du « mondialisme » et destructrices des nations. Il intègre le récit xénophobe et islamophobe du « grand remplacement » dans lequel les Juif·ves sont accusé·es d’organiser le remplacement des populations du Nord par les populations du Sud. Ces idéologies ont servi d’inspiration aux tueurs responsables des massacres de Pittsburgh en 2018 et de Halle en 2019. De plus, l’idéologie masculiniste, popularisée, entre autres, par Alain Soral, met en scène une supposée « domination féministe » attribuée à l’action des Juifs·ves, qui chercheraient à « castrer » les hommes de la communauté nationale. 

L’antisémitisme est au cœur des intégrismes islamistes. Il est notamment central dans la violence djihadiste qui a motivé de nombreux meurtres ces deux dernières décennies. Ainsi, lors de la tuerie à l’école Ozar Hatorah en mars 2012 ou celle de l’Hypercacher en 2015, les assassins ont traqué les victimes juives  et mis en avant la haine particulière qu’ils leur portaient. 

Du côté de l’État, la lutte contre l’antisémitisme est un prétexte utilisé pour promouvoir une conception féroce et sécuritaire de la République. Sa défense des Juif ·ves et de prétendues valeurs judéo-chrétiennes désigne les « arabo-musulmans » comme nouveaux et principaux producteurs de l’antisémitisme. La théorie du « nouvel antisémitisme », véritable levier islamophobe, met dos à dos Juif·ves et musulman·es dans une guerre de civilisation fantasmée.  

Quant à l’antisémitisme à gauche, il s’enracine dans des traditions socialistes et libertaires (Proudhon, Bakounine, Blanqui…) datant du début du XIXe siècle qui entretiennent l’antisémitisme au nom d’une critique du capitalisme. Au sein des mouvements sociaux et des luttes auxquelles nous participons, dans les milieux que nous fréquentons, qu’ils soient anti-capitalistes, écologistes, anti-racistes ou féministes, nous assistons au déni, à une minimisation de l’antisémitisme. Ce dernier peut y revêtir une forme frontale : insultes, harcèlement et exclusions. Il peut aussi se cacher sous un « antisionisme », qui, au motif de lutter contre la politique israélienne, exige des militant·es Juif·ves qu’ils et elles prouvent sans cesse leur antisionisme, des militant·es rendu·es éternel·les suspect·es, jamais assez « pur·es ». L’antisémitisme, quand il émane des classes populaires constituerait, pour ces militant·es et théoricien·nes, une critique légitime et potentiellement émancipatrice. À rebours de cette vision complaisante empreinte d’un mépris de classe, nous considérons l’antisémitisme comme un racisme, prétendant expliquer le fonctionnement du monde en rendant les Juif·ves responsables de tous les malheurs existants.  

La théorisation selon laquelle les Juif·ves seraient maintenant du côté des dominant·es s’étend et se diffuse dans certains champs des sciences sociales critiques et des espaces militants liés à l’université. Ces théories conduisent à une négation de l’antisémitisme et entretiennent de vieux clichés racistes. Elles génèrent un climat de suspicion et d’exclusion à l’égard des Juif·ves. La gauche radicale semble ignorer que les Juif·ves, même quand ils ou elles sont socialement intégré·es et non discriminé·es par les institutions étatiques, continuent, en raison de la violence antisémite, à faire partie des opprimé·es, selon des modalités différentes en fonction de leur classe et contexte social.

Ainsi, les mouvements sociaux et les mobilisations politiques des dernières années ont été ponctuées par diverses manifestations d’antisémitisme qui ont été très peu discutées dans ces mêmes milieux.

À Nuit Debout en 2016, dans certaines mobilisations des Gilets jaunes en 2018-2020, lors de la manifestation « Marée Populaire » en mai 2018 ou dans des secteurs du monde syndical, se sont succédé des slogans, discours, images qui, sous couvert d’une dénonciation de la finance et d’une pseudo-critique du capitalisme, reproduisent des schémas antisémites. Ceux-ci perpétuent l’image du Juif puissant tapi dans l’ombre et dirigeant le monde. On a vu par exemple des marionnettes de banquiers au nez crochu, des affiches de pieuvre enserrant la planète ou des actions menées spécifiquement contre la seule banque Rothschild. De même, les comparaisons récurrentes entre néolibéralisme et nazisme contribuent à banaliser la Shoah et à entretenir la perte des repères politiques.

Dans une partie de la gauche, on constate une bienveillance réitérée à l’égard de personnalités diffusant des contenus facilitant la propagande antisémite.

Dans des espaces antiracistes, on observe une hiérarchisation et une mise en concurrence des racismes, une désignation des Juif·ves comme les nouveaux dominants, les « blancs privilégiés ». On entend des slogans comme « séparation du CRIF et de l’État », « Israël, laboratoire des violences policières », laissant entendre que les violences policières dans les quartiers populaires et les manifestations seraient d’inspiration israélienne, comme si la férocité policière n’était pas un produit bien français. 

Lors de la pandémie de Covid-19, on a assisté à une explosion de théories complotistes, ciblant des responsables politiques et sanitaires au patronyme juif dans la continuité du récit antisémite traditionnel accusant les Juif·ves d’être à l’origine des épidémies et d’en tirer profit.

On entend des déclarations récurrentes de la part du dirigeant de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, qui dénonce le supposé pouvoir juif, s’indignant de la « génuflexion devant les ukases arrogantes des communautaristes du CRIF », ou ressassant la thèse du peuple juif déicide : « Je ne sais pas si Jésus était sur la croix, je sais qui l’y a mis, paraît-il, ce sont ses propres compatriotes ».

L’antisémitisme, tout comme le conspirationnisme, prétend être une résistance à l’ordre établi. Il représente en réalité un ennemi mortel des luttes émancipatrices. La lutte contre l’antisémitisme doit pour nous s’adosser à une théorie critique de la société et à un projet révolutionnaire, face au déni dans notre camp d’un côté et à l’instrumentalisation du combat contre l’antisémitisme par le pouvoir de l’autre.

Collectif GOLEMA
Janvier 2021

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