Alors que nous sommes en pleine période estivale en France, cet été nous a gâté·es en termes d’antisémitisme et de confusionnisme ! Le 2 août dernier, des affrontements ont eu lieu à l’Assemblée Nationale, les représentants du gouvernement accusant la NUPES d’antisémitisme et d’islamo-gauchisme après que certain·es de ses député·es aient proposé d’inscrire dans la loi française la « condamnation de l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien »1. La NUPES s’insurge alors que l’accusation d’antisémitisme soit proférée dès qu’une critique du gouvernement israélien est formulée dans l’espace public2.
Encore un débat creux, où des postures clivées et peu subtiles s’affrontent. La NUPES pourtant, ne reçoit pas des accusations d’antisémitisme de ses seul·es ennemi·es politiques situé·es plus à droite qu’elle sur l’échiquier politique. Depuis plusieurs années maintenant, différents blogs, comptes politiques sur les réseaux sociaux3 4, articles5 6, collectifs de personnes juives issues des gauches radicales (communistes, anarchistes, syndicalistes)7 8critiquent la montée de l’antisémitisme dans les groupes ou partis qui leur sont proches.
Accusée régulièrement d’antisémitisme, la seule posture convenable de la NUPES et de toute organisation de gauche serait de reconnaître que des millénaires de représentations racistes envers les personnes juives ne peuvent s’éteindre sans un lourd travail.
Mais pourquoi en est-on arrivé·es, au sein de nos partis et de nos organisations, à des postures aussi peu complexes, cristallisées autour du conflit israélo-palestinien?
Le ton a été donné initialement par des organisations affichées pro-palestiniennes telles que le mouvement Boycott, Desinvestisment, Sanctions (BDS) 9 ou Palestine Vaincra10, et se présentant avec toute la sémiotique et les paradigmes militants des mouvements de la gauche radicale. Sauf que. Ces organisations défendent-elles tant que cela les valeurs de la gauche à laquelle je m’affilie, la gauche de la lutte sociale, s’opposant aux frontières, au capitalisme, luttant contre les inégalités, cherchant des organisations collectives directes, autogestionnaires et transversales? Un·e militant·e de gauche peu averti·e peut vite avoir cette impression, tant le lexique et le ton discursif viennent puiser dans des référentiels communs. Derrière le discours permanent d’un mouvement comme BDS par exemple, qui utilise à tout-va les termes d’impérialisme, de colonisation, de capitalisme, qui propose des actions militantes inspirées de mouvements politiques d’émancipation, quel est véritablement le projet politique ? Est-ce la paix entre les peuples ? Est-ce la lutte contre le capitalisme et la répartition des richesses et des ressources ? Si on parcourt leur site internet et qu’on s’intéresse aux écrits prolifiques de Omar Barghouti, qui en a été un des dirigeants, on peut vite ressentir un certain malaise, et se rendre compte que le référentiel commun n’est que terminologique, et somme toute superficiel. Ce dont il s’agit réellement, c’est de la promotion d’une lutte nationaliste palestinienne, visant la disparition de l’État d’Israël pour le maintien du seul peuple palestinien sur le territoire, à grands coups d’affichages et de slogans reprenant les pires tropes antisémites du Moyen Âge. Le mouvement BDS s’inquiète-t-il du sort des palestinien·nes ? Si telle est sa prétention, on peut se demander pourquoi sa lutte se centre sur l’illégitimité d’Israël à exister, Omar Barghouti écrivait ainsi en 2003 « Nous nous opposons à un Etat Juif dans n’importe quelle partie de la Palestine. Aucun Palestinien, aucun Palestinien rationnel, sauf un vendu, n’acceptera un État Juif en Palestine ». Pourquoi le mouvement BDS ne critique-t-il jamais les autres tortionnaires du peuple palestinien, notamment le Hamas, qui n’est pas – comme voudraient nous le faire croire certains textes de BDS – un mouvement de résistance ne faisant que se défendre de l’occupant en faisant le choix de répondre à la violence par la violence, mais un groupe islamiste qui exerce torture et terreur sur les Gazaouis11, dont la charte se base sur les Protocoles des Sages de Sion12 ayant inspiré Hitler, charte soutenant comme objectif la disparition non seulement d’Israël mais des Juif·ves au profit d’un État Islamique en Palestine, et considère ainsi comme traître à la cause toute personne faisant de la « normalisation » avec l’État d’Israël. Mais qu’est-ce que la normalisation ? Vous appréciez des israélien·nes ? Vous montez des projets avec des israélien·nes en faveur de la paix ? Tout cela est pour le Hamas, de la normalisation, de la traîtrise, qui peut justifier votre exécution. Cette injonction à bannir toute forme de « normalisation » est reprise par de nombreux collectifs pro-palestiniens en France pour qui inviter des artistes, des scientifiques israélien·nes, ou simplement aller en Israël, est considéré comme donner du pouvoir à l’ennemi colon et ainsi être complice des exactions d’Israël envers les Palestinien·nes, légitimant ainsi de boycotter des individus même ceux issus de la gauche, faisant partie des mouvements sociaux ou des initiatives en faveur de la paix. BDS, suivi par la CGT13, par exemple, avait appelé en 2022 au boycott de l’exposition à l’Institut du Monde Arabe à Paris « Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire », magnifique exposition qui montrait les liens historiques, les apports culturels majeurs entre les différentes civilisations juives et musulmanes, au prétexte que l’IMA avait fait venir des pièces en provenance de musées israéliens et invité des artistes israélien·nes à cette exposition.
Mais si toutes les voix provenant d’Israël ainsi que les voix juives issues de la diaspora qui se refusent à reprendre les propos simplistes et clivés de BDS sur Israël sont boycottées au nom de la « normalisation », comment communiquer ? Comment continuer à entretenir le dialogue, à prendre conscience des postures complexes des un·es et des autres, de droite, de gauche, religieux·ses, laïcs, israélien·nes ou palestinien·nes ? Comment permettre à des peuples de se rencontrer et (re)trouver du commun sans l’art, la science, le sport, médiateurs d’échanges et donc de paix ?
Ces campagnes de boycott menées depuis maintenant vingt ans ont abouti à cela : en France, il n’est pas de bon ton pour un collectif de gauche radicale d’inviter toute personne qui ne remettrait pas en question Israël de la façon dont BDS exige qu’Israël soit remise en question, c’est-à-dire comme seul responsable de la situation actuelle au Moyen-Orient. Se succèdent ainsi sur cette question dans les milieux de gauche les seuls penseurs de gauches juif·ves ayant clairement une posture antisioniste14, au détriment de toutes les autres personnes juives de gauche travaillant sur ces questions et qui soit dénoncent le caractère nationaliste et antisémite des campagnes de boycott et leur impact direct et négatif sur les communautés juives, soit font une description moins clivée du conflit israélo-palestinien, soit sont avant tout désireux·ses de ramener le débat sur d’autres aspects : la lutte contre les stigmates islamophobes et antisémites en France, le travail sur les représentations racistes dans les discours politiques. Car n’est-ce pas ce que tout groupe se prétendant de la gauche radicale devrait véritablement continuer de défendre ? L’union des peuples victimes du racisme avec l’ensemble des classes sociales opprimées, la lutte contre l’autoritarisme, le fascisme, la défense d’une réelle émancipation pour le peuple, c’est-à-dire une émancipation fondée sur le dialogue social, la démocratie participative, le respect de toutes les cultures, la destruction des inégalités en s’attaquant au fléau de l’économie ultra-libérale en ré-instituant le service public, la nationalisation des entreprises, en permettant à tout·es d’avoir un logement, de quoi se nourrir, avoir des loisirs, se sentir utile et reconnu par le collectif ? Comment des collectifs comme Palestine Vaincra sont-ils devenus les martyrs de la gauche radicale alors que leur propos, quand on prend le temps de s’y intéresser, n’est centré que sur les frontières par la défense de la solution à un seul état Palestinien et la disparition d’Israël, avec un objectif clair inscrit dans leur nom-même; qu’un peuple vivant des oppressions puisse « vaincre » un autre peuple vivant des oppressions? Les mouvements pro-palestiniens nationalistes, parce que leur approche discursive bien pensée en faisait la seule voix d’un peuple opprimé, ont d’abord envahi les mouvements anarchistes. Alternative Libertaire s’en est ainsi fait largement l’écho, et on peut s’étonner que des groupes dont l’idéal est censé être la destruction de toutes les frontières et de tous les États puissent ponctuellement défendre les nationalismes les moins subtils. Progressivement, ces postures ont envahi le NPA, BDS a été invité à la Fête de l’Humanité, et bien sûr assez logiquement on en retrouve la trace idéologique largement dans LFI.
Après ces débats amers de l’Assemblée Nationale, point de répit : le 14 août, en Hongrie, le groupe de hip-hop espagnol Tribade – se réclamant féministes antiracistes ( ! ) – se permettait ainsi d’écrire sur des drapeaux israéliens « Israël n’existe pas » et « mangez ça » à côté d’un dessin de pénis… Ce type d’actions symboliques devient ainsi l’étendard de la gauche insurrectionnelle : s’en prendre à Israël, ce serait faire acte de résistance contre l’ennemi. Quel ennemi, ce n’est pas si clair, tant Israël représente tous les maux : le colonialisme, l’impérialisme, le capitalisme … autant de concepts contre lesquels il convient de lutter quand on se revendique de gauche. On retrouve là, bien sûr, la figure de l’antisémitisme financier du 19ème siècle, le juif au nez crochu contrôlant le monde et qu’il faut abattre. Cette diabolisation conduit beaucoup de nos camarades à adopter des postures antisionistes « de principe » sans connaissance et maîtrise des enjeux. Ce manque de connaissances associé à ces postures conduit inévitablement vers des glissements idéologiques antisémites. Un peu partout, des groupes de gauche radicale réclament ainsi des « Intifada partout », oubliant que nombre de Juif·ves d’Israël ou de la diaspora ont perdu des proches lors des intifadas, et que l’ « intifada partout » signifie ce que les Juif·ves ont bien trop connu, véritablement partout, de la France à la Russie, à la Chine, à l’Algérie, à l’Ethiopie… c’est-à-dire l’exclusion, la persécution, la perte et la fuite.
Ainsi, pour contrer le nationalisme des gouvernements de droite et d’extrême droite qui se succèdent en Israël, la gauche radicale française n’est parvenue qu’à prendre une posture toute aussi nationaliste, perdant sa pensée critique et remplissant sa bouche de propos souvent inexacts tirés de la propagande du Hamas. Ce biais puissant s’est introduit dans des ONG comme Amnesty International15, ayant employé le terme d’apartheid d’une façon idéologique davantage que factuelle 16, et dont on peut se demander si un tel choix politique est pertinent pour les peuples juifs et arabes au Moyen Orient ou dans les diasporas. Quand la macronie ou les droites accusent les partis les plus à gauche d’ « islamo-gauchisme », cette accusation a beau être absurde, elle est à la mesure du confusionnisme qui règne dans la gauche radicale et de sa porosité originelle aux pires thèses nationales et antisémites 17 .
Camarades de gauche, il reste donc du pain sur la planche pour lutter contre toutes les formes de nationalismes et les biais racistes qui envahissent nos représentations, nos discours et nos actions politiques, pour apprendre à repérer, en notre sein, les mouvements nationalistes qui n’ont rien à faire parmi nous, à accepter de retrouver du débat à l’intérieur de nos mouvements pour introduire de la complexité dans des enjeux sociétaux et géopolitiques qui ne sauraient se réduire sans danger à des postures clivantes et simplistes.
1 Proposition nº 143, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0143_proposition-resolution#
2 https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/08/02/assemblee-nationale-la-derniere-seance-de-questions-au-gouvernement-chahutee-par-des-accusations-d-antisemitisme_6136969_823448.html
3 Usul. Antisémitisme : la gauche est-elle complice ? https://www.youtube.com/watch?v=s7L3ft67DpQ
4 Sur Instagram, @rootsmetals aspects historiques internationaux de l’antisémitisme et critiques des postures de l’extrême gauche sur ce sujet en Occident
5 http://golema.net/analyses/quelques-reflexions-sur-lantisemitisme-et-son-deni-a-la-france-insoumise/
6 http://solitudesintangibles.fr/de-lantisemitisme-a-lantisionisme-joachim-bruhn/
7 Juives et juifs révolutionnaires, https://fr-fr.facebook.com/FeujRevolution/
8Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les racismes, https://www.facebook.com/RAAR2021
10 https://palestinevaincra.com/
11 Voir l’edito BDS, dessous d’un boycott de Laurent Joffrin paru le 13 août 2015, https://www.liberation.fr/planete/2015/08/14/bds-dessous-d-un-boycott_1363643/
12Taguieff, P. (2004). Invention et réinventions du mythe des « Sages de Sion ». De la « conspiration juive » au « complot sioniste mondial » dans le monde arabo-musulman. Revue d’Histoire de la Shoah, 180, 172-219. https://www.cairn.info/revue–2004-1-page-172.htm.
13 https://assafirarabi.com/fr/42111/2021/12/08/cgt-ima-pas-de-normalisation-avec-lapartheid/
14 Par exemple, Dominique Vidal, Alain Gresh, Jean Stern, sont tous trois des journalistes de gauche, ont tous eu des postes importants dans de grands journaux français et sont très régulièrement les invités de mouvements et collectifs anarchistes et communistes. Les deux premiers sont les plus publiés en France sur la question du Moyen Orient.
15 https://www.amnesty.fr/discriminations/actualites/israel-les-palestiniens-sont-victimes-dun-apartheid
16 https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/le-rapport-damnesty-international-denoncant-lapartheid-israelien-declenche-une-avalanche-de-reactions-1384414
17 L’Antisémitisme à gauche : histoire d’un paradoxe, de 1830 à nos jours, (2009), Dreyfus, M., Paris : La Découverte