L’extrême droite activiste française s’organise et se structure. La Bretagne, où le vote RN est assez bas, a été récemment un lieu privilégié pour ses nombreuses actions directes. Ces dernières, dirigées contre les étrangèr-es et les Juif-ves, renouent avec le système idéologique traditionnel de l’extrême droite. À Callac, le projet Horizons d’accueil de personnes réfugiées a été mis en déroute par des attaques xénophobes et antisémites, et ciblé aussi directement parce qu’il était porté par le fonds de dotation MERCI géré par la famille Cohen. Les Juif-ves ont été accusés de favoriser l’immigration afin de déstabiliser la France et l’occident. A Saint-Brévin, un projet de CADA a été mis à mal par l’incendie de la maison du maire de la ville. La successeuse du maire démissionnaire entend néanmoins mener à bout l’accueil des demandeur-eus-s d’asile, mais l’extrême droite a d’ores et déjà fait part de son intention de poursuivre l’opposition par des manifestations devant la mairie le soir de sa nomination.
Forts de ces actions, les groupuscules d’extrême droite ne se sont pas arrêtés là. Une campagne massive de distribution de tracts, dont l’épicentre semble être la Bretagne, est en cours dans plusieurs départements. Ces tracts ont été distribués dans plus de 70 communes du Finistère, en Seine-Maritime, en Normandie, dans le Jura, ainsi qu’à plusieurs dizaines de députés à l’Assemblée nationale, toute tendance politique confondue. Les député-es juif-ves ont également reçu des messages de menaces personnalisés.
Le tract indique : « Message à nos compatriotes de race blanche: HOMME BLANC, tu en as assez de voir LES JUIFS détruire ton pays par l’immigration, la dégénérescence pédo-LGBT et la guerre ? Rejoins-nous pour établir la domination de la race blanche en Europe ». Autour du message, des croix gammées et autres symboles nazis comme l’aigle hitlérien.
On retrouve donc plusieurs accusations classiques faites aux Juif-ves : destruction de la «race blanche » par le grand remplacement, volonté de détruire les « bonnes mœurs » et la famille hétérosexuelle, pédocriminalité et déclenchement de la guerre. Les maux supposés de la « civilisation blanche » seraient le fait des Juifs, et le tract appelle à s’organiser, par la violence, pour la victoire de la suprématie blanche.
Ce tract, d’un antisémitisme particulièrement virulent et direct, est également une diatribe anti-immigré-es et anti-LGBT. Il renvoie au site Démocratie Participative de Boris Le Lay, néo-nazi breton en cavale au Japon. Le Lay doit en effet écoper de plus de 10 ans de prison pour différentes affaires d’antisémitisme et de négationnisme, de provocations à la haine raciale, d’injures publiques, menaces de mort, d’appel à la guerre entre les races, apologie du IIIe Reich et de génocides, etc. La campagne de tractage paraît assez organisée ou du moins coordonnée, puisqu’on retrouve le même visuel dans plusieurs départements, renvoyant tous au même site web. En l’absence d’une enquête sérieuse pour l’instant, il est difficile de préciser qui sont les acteurs, leur nombre, et les organisations dans lesquelles ils sont actifs. Cependant, ce tractage dans des villages, et cette présence accrue et diffuse sur le territoire, semble être le signe d’un militantisme de base d’extrême droite.
La couverture médiatique
Les pouvoirs publics et plusieurs élus ciblés n’ont pas manqué de réagir. Ils ont bien fait état d’une campagne d’extrême-droite, quelquefois « néo-nazie », sans néanmoins souligner son caractère national. Les faits sont souvent présentés comme de « la violence contre les élus », mais le racisme anti-migrant et l’antisémitisme virulent à la base de cette campagne sont rarement nommés. Or, les tracts en question ne ciblent pas des personnages politiques pour leurs responsabilités ou prises de position. Il est probable que les élus servent de support médiatique pour diffuser ces messages et cette idéologie. Certain·es député·es, comme Yaël Braun-Pivet et Gabriel Attal, ont été visé.es directement en tant que Juif·ves.
Cette réponse républicaine met toutes les violences dans le même sac. En ne parlant que de violences contre les élus, elle amalgame toutes sortes de désordre : les actions du mouvement social, y compris contre la vague xénophobe et islamophobe qui déferle depuis le sommet de l’État, et la violence raciste groupusculaire qui se diffuse et est de plus en plus active dans la société. Ainsi, le gouvernement tente de délégitimer la contestation sociale, de la lutte contre la réforme des retraites aux « éco-terrorismes », tout en invisibilisant la violence antisémite qui s’exprime ici à l’état chimiquement pur. Ce faisant, on encastre encore une fois les Juif-ves avec l’État ou « LA République », mais on passe sous silence l’idéologie suprémaciste et ses cibles explicites: les Juif-ves, les migrant-es et les personnes LGBT. Ce discours confus est repris par nombres d’élus, maires ou oppositions politiques.
Ce déni de l’antisémitisme et de la haine des migrant-es est dans la droite ligne de la stratégie confusionniste de Macron et de Renaissance, qui participent activement à la normalisation du Rassemblement National, et en particulier à la légitimation des députés national-populistes. La présidente de l’Assemblée Nationale, du groupe Renaissance, a jugé que son vice-président RN « n’est pas un bon, mais un très bon vice-président ». Quelques mois auparavant, elle rappelait à l’ordre une députée de son propre groupe politique qui avait évoqué « l’ADN xénophobe vieux de 50 ans » du RN. Emmanuel Macron a récemment rappelé à l’ordre sa première ministre qui qualifiait, justement, les élus RN « d’héritiers de Pétain ». Yannick Morez, ex-maire de Saint-Brévin encarté dans le parti d’Emmanuel Macron, lui-même victime de la violence d’extrême droite, a refusé de participer à la « marche faite aux élus » organisée en réaction à l’incendie volontaire de son foyer, alors qu’il dormait à l’intérieur avec toute sa famille. Il dit« regretter la discrétion de la droite » aussi bien que « la récupération politique, notamment de l’extrême gauche, de cette marche qui se voulait au départ transpartisane ».
Un pas de plus est franchi dans la violence raciste. Le tract le dit on ne peut plus clairement, les Juifs sont la clé de voûte d’un système idéologique qui pleure l’affaiblissement de la virilité de l’homme blanc sous l’assaut des migrations et de la théorie du genre. Cette fois-ci, les Juifs sont nommés en premier, comme si toute la haine raciste qui avait déferlé ces derniers temps contre les migrant-es servait aussi de signal pour passer à l’attaque contre les vrais responsables, ceux qui ont le pouvoir : les Juifs.